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Le Gurontoscope par GaEm

...La lumière qui filtrait au travers des épais rideaux de velours baignait la chambre dans le clair obscur. Le gurontoscope massif posé sur le bureau émettait un cliquetis asynchrone avec le tic-tac de la grande pendule près de la porte d'entrée. Une aiguille oscillait sur un des cadrans. J'étais assis dans un confortable fauteuil de cuir faisant face au bureau. J'observais ostensiblement le mouvement de l'aiguille, l'incessant va-et-vient m'hypnotisait totalement. Le jour où l'univers sera ouvert ... la déesse Anakalina lèvera ses bras vers le ciel ... sous le soleil ... sous le soleil ... exactement juste en dessous ... Je divaguais ainsi dans mes pensées lorsque l'aiguille s'arrêta d'osciller brusquement, le cliquetis aussi. C'est à ce moment précis que j'entendis la pendule sonner le premier coup de six heures ce matin ... ce matin de brouillard où l'eau de la rivière est venue me rafraîchir la mémoire ... ce matin de juin 2047 où la distorsion fit son premier effet ... le chiffre 8 indiquait l'aiguille sur le cadran du gurontoscope ... mon fauteuil se mit à grincer et à se tordre comme aspiré par le haut ... je suivais son mouvement de torsion sans même m'en rendre compte ... le regard figé sur la machine jusqu'à ce que ce premier coup de six heures soit achevé ... ma tête se tourna très rapidement sur ma gauche ... puis sur ma droite ... vers le haut ... vers le bas ... ce que je voyais n'était pas du possible ... partout où mes yeux se posaient ... même les bruits paraissaient différents ... les couleurs ... les objets ... la lumière ... rien à voir avec ce que l'on peut connaître ou imaginer ... quelque chose de fondamentalement nouveau ... un inconnu total ... une logique apparente mais indénouable ... ce qui me frappait dès le premier instant, c'était la lumière et la couleur de tout ce qui m'entourait ... une lumière irréelle, un mélange de bleu et couleurs ocres sans vraiment être ces même couleurs ... indicible ... tellement extraordinaire ... les objets ... leurs formes ... étranges ... courbes avec des angles ... volumes creusés ... le plein de vide ... le vide plein ... et les sons ... inaudibles ... mais perceptibles ... le son de ma voix ... lorsque j'ai voulu parler ... l'impression que rien ne sortait de mes cordes vocales ... et puis ... en délai ... une vibration ... ronflante ... aigue ... grave ... je ne sais pas ... ce que j'ai dit :"c'est pas possible" ... je me suis entendu : "chrerrrsssppppeeeiiiisssbbblblbellllebekkkk", enfin un truc comme ça ... intraduisible ... et pourtant je me suis compris ... j'ai su ce que je disais ... au travers de mes poils ... de mes pores ... une intelligence nouvelle ... un nouveau monde à découvrir ... ce qui était trop loin n'est que trop près maintenant ... j'ai le nez dessus ... dedans ... dehors ... in et out ... ces mots n'ont plus aucun sens ici ... yin et yang non plus ... même le mot équilibre ne peut exister ... l'équilibre physique n'existant pas non plus ... une odeur ... la mienne ... dans l'extérieur ... une odeur intérieure ... pas de souvenir ... pas de passé ... pas d'avenir ... un présent éternel ... hors du temps ... de sa notion même ... l'ultime dimension ... celle que l'on ne peut ni nommer ni numéroter ... non pas qu'il n'y ait pas un sens ... ce n'est pas non plus un non-sens ... ni un sens interdit ... pas de pitié ... pas de regret ... dans le soulagement ... sans aucune douleur ... de l'autre côté du miroir n'est pas ce que l'on y voit en inverse ... de l'autre côté on est encore du même côté mais tout s'est transformé, tout est chamboulé ... aucune équation ne peut s'y résoudre ... aucune science ne peut prendre conscience ... ni celui qui y est, ni celui qui est ailleurs ... ce n'est ni ici ... ni là ... ni maintenant ... ni plus tard ou plutôt ... c'est universel ... c'est depuis toujours ... pour toujours ... en simple constance ... dans un simple constat ... j'ai vu l'aiguille se remettre à osciller ... mais pas de va-et-vient ... pas de cliquetis ... mais une sensation d'ondulation ... un chant de sirène ... la torsion poursuit son œuvre ... sans qu'on le sache ... sans qu'on la voit ... alors qu'on le sait et qu'elle est devant nous tout le temps ... pas une devinette ... pas un devin ne pourra prédire ... tout est autre chose ... rien n'est facile ... rien n'est difficile ... tout est re-conception, incoercible, indéfini, infini ...

Le sourire passablement torsadé, je tentais de ne pas lâcher prise ... mon esprit fusait plus vite que je ne pouvais le comprendre ... j'avais peur de trop m'éloigner ... devenir fou ... fou à lier ... impossible ... car impossible n'est pas possible là où je me trouve ... est-ce là ou là-bas ? Je suis ici et là ... je me disperse dans la pièce ... éparpillé dans tout les coins ... ma vision n'est plus ce qu'elle était ... je croyais être hors de la réalité alors que j'y suis en plein dedans ... dans le coeur de la réalité ... où se nichent les rêves les plus fous, les plus surprenants. HUIT ... le chiffre 8 ... la torsion ... la distorsion ... 8 ... passer par là et ressortir autre part ... sans jamais avoir bougé ... sans que le temps n'ait eu le temps de faire frémir une milliseconde ... j'étais assis dans le fauteuil en cuir ... je le savais ... je m'en souvenais ... mais cela n'est pas la vérité ... la réalité ne correspondait à rien de ce que l'on peut imaginer ... la lumière que filtrait les rideaux de velours épais baignait la chambre dans un obscur de clarté. Le gurontoscope massif n'émettais plus rien tandis que la pendule marquait six heures ... j'étais encore là ... rien n'avait bougé ... tout était en ordre ... mes yeux clignaient un peu avant d'observer de plus près l'aiguille qui venait d'arrêter son oscillement ... je me souviens ... ici j'ai des souvenirs ... là bas il n'y avait rien ... rien de ce que l'on peut connaître ou imaginer ... seule la déesse Anilakana venait de rabaisser ses bras avant de clore les yeux ... sous les étoiles ... exactement ... juste en dessous...

GaEm 2006

 

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